Allocution du Pr Roland Tomb, Doyen de la Faculté de médecine, à l’occasion du lancement des festivités du Centenaire de l’Hôtel-Dieu de France, le 5 mai 2022

 

« La résistance ne consiste pas seulement à porter des armes : en l’occurrence, ces temps-ci, la résistance consiste surtout à ne pas porter des valises. »

Ce soir je vais vous parler de miracles.

 

Monsieur le ministre, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, Monsieur le recteur, Chers collègues, Chers amis.

 

Cet hôpital porte Dieu et la France dans son nom et dans ses gènes. Cette double ascendance doit nous obliger. Sa conception comme sa naissance tiennent du miracle, puisque rien a priori ne pouvait rapprocher ses géniteurs. En effet, les pères pionniers et bâtisseurs y ont mis leur fougue et leur détermination mais rien n’aurait été possible sans la France anticléricale de l’époque : leurs efforts improbables mais conjugués, déjà mis en œuvre pour bâtir la Faculté de médecine, la Faculté de droit et la Faculté d’ingénieur, ont ressuscité le chantier de l’Hôtel-Dieu de France au sortir de la Grande  Guerre, après les pillages et les destructions, comme vient de le rappeler le Recteur dans son allocution.  On le voit sur les photos d’archives,  on l’a vu dans le film,  jamais l’alliance entre le sabre et le goupillon n’a été aussi fructueuse. La République et l’Église (on parlait péjorativement de calotte sous la IIIe République) s’étaient penchées ensemble, comme de bonnes fées, sur son berceau.

 

Un demi-siècle plus tard, la façon dont cet hôpital a résisté durant la guerre civile tient aussi du miracle et je le dis, pour la première fois publiquement et avec émotion : j’étais sans doute parmi les premiers blessés qu’il a reçus. L’Hôtel-Dieu m’a sauvé la vie.  En accomplissant son devoir, en bravant les dangers, cet hôpital  n’a pas seulement fait œuvre de résilience, mais de véritable résistance, face à la furie des hommes et à l’acharnement des occupants.

 

Au milieu de la guerre, en 1984, un homme se lève, Jean Ducruet. Il refuse le défaitisme, il s’oppose à ses propres compagnons qui voulaient fermer l’université, il offre à la France de gérer lui-même l’Hôtel-Dieu qui était exsangue. Le pari qu’il fait ce jour-là, tient aussi du miracle.  Il signe donc ce fameux bail emphytéotique avec le gouvernement français : j’en ai reproduit le préambule en fac-similé dans le livre que vous avez entre les mains et que j’ai eu la joie de commettre avec mon complice Christian Taoutel. Les termes de ce contrat sont sans équivoque : l'Hôtel-Dieu est l'hôpital d'application de la Faculté de médecine.  Je le dis et le redis parce qu’il y a quelques années encore, on entendait quelques esprits chagrins se demander : de quoi se mêle le Doyen ? De quoi se mêle le Recteur ? Les faits sont têtus :  cet hôpital est le fruit de la volonté et de la détermination du père Cattin,  chancelier de la Faculté de médecine,  qui a voulu pour son institution un hôpital d'application qui lui soit propre. 61 ans plus tard, par le biais d'un accord entre le gouvernement français et le P. Ducruet, Recteur d'une Université Saint-Joseph centralisée et renouvelée, la vocation de l'Hôtel-Dieu était explicitement rappelée. Au miracle de la fondation avait fait écho le miracle de la refondation.

-Pour respecter les engagements souscrits par les pères bâtisseurs et par le gouvernement français, cet hôpital demeurera universitaire ou il n’existera plus. Cela vient d’être rappelé sans équivoque par le Recteur.

-Parce que les hommes couchés obligent les hommes debout, l’HDF respectera sa vocation sociale au service de tous les souffrants, notamment des plus démunis, ou il n’existera plus.

-Nous défendons la francophonie - tâche ingrate entre toutes-  souvent plus et mieux que les Français eux-mêmes : cet hôpital restera un témoin vivant de la médecine francophone dans notre pays ou il n’existera plus.

-Fort de ses racines,  à présent centenaires, il devra résolument regarder vers l'avenir, être à la pointe des innovations pour demeurer un  centre de référence et un pôle d'excellence, ou il n’existera plus.

 

Je le disais au début, la naissance de cet hôpital tient du miracle. Son endurance, sa pérennité et son développement en dépit de toutes les avanies qu’a connues notre pays durant un siècle, tiennent aussi du miracle.  Pour ce miracle quotidien, je tiens à remercier les acteurs, petits et grands, inconnus ou célèbres, médecins, résidents, internes, infirmières, administratifs, personnels.  Et je formule le vœu, Madame l'ambassadrice de France, que la renégociation du bail emphytéotique soit déclenchée au plus tôt, afin que ce miracle continue.

 

Mais le citoyen attend un plus grand miracle encore : il y a deux ans, l’État libanais fêtait aussi son centenaire. Et si l’Hôtel-Dieu de France est notre maison, nous avons des devoirs envers la véritable maison qui nous rassemble tous, notre pays, notre Liban. Tout le monde se souvient, mes chers amis, de l’immense espoir qui s’était levé le 17 octobre 2019. Je revois ces marées humaines, ces flots de drapeaux, avec entre autres, ces blouses blanches qui battaient le pavé presque quotidiennement. Tout le monde se souvient, Madame l’ambassadrice, de l’extraordinaire énergie qu’a déployée le président Macron en 2020 pour nous venir en aide. Malheureusement, tous nos espoirs sont retombés. Et de ce fait, la désillusion est plus grande encore. Cela dit,  nous ne nous laisserons pas aller au défaitisme, nous resterons debout. Nos espoirs, disais-je, se sont envolés, mais notre espérance reste chevillée à nos corps et à nos cœurs. Malheureusement, nous ne pourrons jamais nous en sortir tout seuls. Tout simplement parce que le Libanais n’est pas maître de ses décisions ; la volonté nationale a été confisquée.

C’est pourquoi, j’appelle tous les amis du Liban, et vous aussi Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, à ne jamais se lasser de nous, de notre cause, du Liban-message afin qu’il ne devienne pas un slogan creux.

J’appelle les Libanais de la diaspora, mais aussi ceux de l’intérieur, à ne pas baisser les bras. Je pense à l’exode des Libanais, notamment à celui des médecins sur lequel on a beaucoup épilogué. La lassitude et le défaitisme, qui se sont répandus de façon épidémique, sont encore plus mortifères que le Covid-19.  La panique s’est révélée plus contagieuse et plus pernicieuse que le virus. 

Sachons résister à tous ces démons,  oui sachons résister à tous ces démons car la résistance ne consiste pas seulement à porter des armes : en l’occurrence, ces temps-ci, la résistance consiste surtout à ne pas porter des valises.

Oui, l’Espérance aura toujours le dernier mot.

N'arrêtons pas de croire aux miracles.

 

Vive l'Hôtel-Dieu de France ! Vive la France !  et surtout vive le Liban

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